À moins d’un an de la livraison du barrage hydroélectrique de Nachtigal – mise en service de tous les groupes du plus grand barrage du Cameroun prévue en septembre 2024 -, Energies Media s’est rapproché de la direction générale de la société du projet (Nachtigal Power Company), pour obtenir des éclairages sur l’actualité liée à des fuites sur l’ouvrage, relevées par l’Agence de régulation du secteur de l’électricité et relayées par la presse locale. Le directeur général de NHPC, Vincent Leroux, disposé à éclairer le public sur la sécurité de cet ouvrage de 420 MW, revient également dans cette interview sur les rapports avec les pouvoirs publics et les garanties apportées aux investisseurs, le barrage de Nachtigal devant servir de modèle pour la structuration et la réalisation d’autres projets énergétiques au Cameroun.
[Energies Media] Un rapport de l’Agence de régulation du secteur de l’électricité du Cameroun, issu d’une mission effectuée sur le site du barrage, a révélé des anomalies sur l’ouvrage. Des médias s’en sont fait l’écho faisant craindre un échec à moins d’un moins de la mise en service du premier groupe et à moins d’un an de la livraison de ce barrage de 420 MW très attendu vu qu’il représente un tiers de l’offre énergétique du Cameroun. Y a-t-il un péril sur le barrage de Nachtigal ?
[Vincent Leroux] ll n’y a aucun péril sur le barrage et aucune inquiétude à se faire. Le 18 juillet 2023, NHPC a procédé à la mise en eau du barrage ; une opération importante dans la construction de l’aménagement hydroélectrique de Nachtigal qui consistait à remplir pour la première fois le barrage pour créer la retenue d’eau qui alimentera l’usine de production. Ce remplissage a duré un mois, et s’est fait par pallier afin de s’assurer de l’étanchéité et de la robustesse de l’ouvrage comme cela se fait sur tous les ouvrages de ce type partout dans le monde. Suite à cette opération, des fuites mineures ont été identifiées et des travaux engagés pour y remédier avant la mise en service, sans aucun impact sur le calendrier du projet. Il est important de rappeler que Nachtigal fait l’objet d’un contrôle permanent, tant par des équipes d’ingénieurs et d’experts mobilisés par NHPC sur le chantier que par des ingénieurs indépendants avec notamment :
- Une Assistance à Maîtrise d’Ouvrage (AMOA), assurée par EDF, leader mondial du secteur de
l’hydroélectricité, avec près de 60 salariés mobilisés au Cameroun et un appui du Centre d’ingénierie
hydraulique en France; - Un bureau de contrôle technique, assuré par Bureau Veritas, qui réalisé des contrôles réguliers des
ouvrages.U n ingénieur indépendant des Prêteurs du Projet (Lenders Technical Advisor, du cabinet international
Mott Mc Donald); - L’Assistance Technique de l’Etat – Ministère de l’Eau et de l’Energie (financée par la Banque Mondiale
et composée d’experts internationaux);
Les ingénieurs indépendants de l’Etat et des Prêteurs du Projet ont réalisé des visites avant, pendant et après la mise en eau, constatant par eux-mêmes le plan d’actions mis en place et leur bon avancement.
La visite de l’ARSEL en août 2023, hors de tout cadre réglementaire sur les sujets techniques, a émis un avis sans prendre connaissance des mesures mises en place et de la supervision très forte tant par l’AMOA-EDF que par les ingénieurs indépendants. Suite à ce rapport, NHPC a saisi en septembre 2023 le Ministre de l’Eau et de l’Energie pour lui suggérer d’associer l’ARSEL aux missions de l’Assistance Technique de l’Etat, dont les rapports n’expriment aucune inquiétude sévère. La dernière mission réalisée en octobre 2023 a pu apporter des éléments tout à fait rassurants à l’ensemble des partenaires du projet.
Quel est le délai à votre niveau pour la gestion des problèmes constatés ?
Un plan de remédiation a été mis en œuvre aussitôt que les premières fissures ont été constatées au mois de juillet lors des essais de mise en eau. A fin novembre 2023, les travaux prévus par ce plan sont bien avancés et doivent s’achever début 2024, et ne remettent en aucun cas en cause l’injection des premiers mégawatts dans le réseau électrique tels que prévu en fin décembre 2023. Il est important de rappeler que ces travaux complémentaires n’ont jamais remis en question, ni selon NHPC ni selon l’ensemble des experts mobilisés sur site, la sûreté des ouvrages ni la qualité de réalisation qui s’appuie sur un design robuste mis en place par l’ingénierie d’EDF.
Le vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre Ousmane Diagana était sur le site le 21 novembre 2023. Quel était l’intérêt de ce déplacement ? La Banque mondiale est-elle inquiète de son financement ?
Pour rappeler le contexte, le vice-président de la Banque Mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre était en mission de travail au Cameroun du 17 au 21 novembre ; une mission qui prévoyait plusieurs rencontres et visites.
La Banque Mondiale étant un partenaire clé de NHPC dont il est actionnaire à hauteur de 20% à travers la SFI en plus d’être prêteur, et un partenaire clé de l’Etat du Cameroun dans le financement de plusieurs secteurs, dont celui de l’énergie, c’est tout naturellement qu’il est venu visiter le chantier Nachtigal, afin de pouvoir toucher du doigt l’avancement des travaux mais aussi découvrir les actions environnementales et sociales menées dans la zone du projet par NHPC.
Etes-vous aujourd’hui à l’abri de tous les aléas qui pourraient compromettre la livraison de ce barrage en septembre 2024 ?
A date, le planning de livraison reste maintenu avec les principaux jalons suivants :
- Décembre 2023 : Production des premiers MWh de Nachtigal avec le couplage au réseau du Groupe 1 c’est-à-dire 60 MW;
- Février 2024 : Réception définitive officielle de la mise en service du Groupe 1;
- Mars – Août 2024 : Mises en service progressives des Groupes 2 à 7;
- Septembre 2024 : Mise en service commerciale (7 groupes – 420 MW);
Comme pour tous les grands projets d’infrastructure, nous ne sommes pas à l’abri d’aléas exogènes, comme ça a été le cas en 2019 avec la pandémie Covid-19, qui pourraient nous surprendre, auquel cas on s’ajustera.
En juin 2022, le ministre des Finances Louis Paul Motaze s’était rendu sur le site pour rassurer sur le règlement des engagements de l’Etat, notamment les crédits de TVA non remboursés aux sous-traitants sur le site. La situation est-elle définitivement résolue ? tous les engagements de l’Etat à votre niveau sont-ils assurés ?
Nous avons effectivement reçu plusieurs remboursements crédits de TVA depuis 2022. L’Etat du Cameroun, qui est un partenaire clé du projet, joue pleinement son rôle et nous accompagne dans toutes nos demandes.
Les pouvoirs publics camerounais ont, à différentes occasions, indiqué que le barrage de Nachtigal pourrait servir au développement d’autres projets énergétiques sur le même modèle, le cas Nachtigal devant servir de baromètre aux investisseurs. Le début de l’exploitation permettra de démarrer le remboursement des prêts (916 millions d’euros sur un coût global d’un peu plus de 1,2 milliard d’euros) selon les attentes. Quelles sont les différentes garanties qui couvrent le barrage de Nachtigal et qui sécurisent l’investissement global consenti par les différents bailleurs de fonds du projet ?
Pour rappeler le contexte, NHPC a pour unique client ENEO qui va acheter l’énergie produite par l’aménagement hydroélectrique de Nachtigal et la distribuer ensuite aux consommateurs. En cas d’impayés d’ENEO, NHPC dispose de trois garanties mobilisables successivement :
- la Garantie bancaire ENEO : il s’agit d’un compte séquestre qu’ouvre et qu’approvisionne ENEO dans une banque et sur laquelle NHPC peut tirer ;
- la Garantie de l’Etat : mobilisable en cas d’indisponibilité de la Garantie Bancaire ENEO
- la Garantie de paiement de la Banque Mondiale : mobilisable en cas de non-exécution de la Garantie
de l’Etat.
