Par Vera Songwe, Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA)
L’Europe, les États-Unis et l’Afrique sont tous secoués par la crise prolongée entre la Russie et l’Ukraine. Ils doivent forger un nouveau grand compromis qui tienne la promesse d’assurer une sécurité énergétique partagée, la sécurité alimentaire, la création d’emplois et de parvenir à une croissance verte et une prospérité à long terme.
Ce grand compromis offre un accord en trois volets au G7.
L’UE obtient un accès à court et moyen terme à l’énergie, à la stabilité de l’approvisionnement et à l’accélération de la transition, ainsi qu’à de nouveaux partenariats commerciaux et géopolitiques plus solides. L’Afrique bénéficie d’une augmentation des investissements dans les systèmes alimentaires et énergétiques et des investissements pour sa jeunesse qui est sept fois plus nombreuse que la jeunesse européenne et pour qui la migration semble être la seule attraction.
D’abord sur l’énergie, plus de 5 000 Gm3 de ressources de gaz naturel ont été découvertes en Afrique. Cela pourrait couvrir les besoins immédiats de l’Europe et également accélérer l’accès à l’énergie et les aspirations d’industrialisation du continent.
Ces découvertes énergétiques peuvent accélérer une transition juste pour l’Afrique, du Sénégal et du Mozambique à la Mauritanie, à l’Angola et de l’Algérie à l’Ouganda.
Ensemble, ces pays pourraient fournir à l’Europe la sécurité énergétique dont elle a besoin tout en permettant à l’Afrique d’accélérer sa propre sécurité énergétique et de soutenir les industries africaines des engrais, de l’acier, du ciment, du numérique, de la santé et du dessalement de l’eau.
Plus important encore, la sécurité énergétique permettrait de contenir l’inflation et profiterait également à l’Afrique.
Les émissions cumulées de CO2 résultant de l’utilisation de ces ressources gazières au cours des 30 prochaines années seraient d’environ 10 milliards de tonnes. Selon l’AIE, si ces émissions étaient ajoutées au total cumulé de l’Afrique aujourd’hui, elles porteraient sa part des émissions mondiales à seulement 3,5 % des émissions mondiales tout en sortant des millions de personnes de la pauvreté.
En outre, accélérer les investissements dans le gaz permet à l’Afrique de passer plus rapidement aux énergies renouvelables à long terme ; ce qui est un engagement clair – à travers la stratégie africaine de relance verte.
De nombreux pays africains montrent déjà la voie – le Kenya et le Sénégal ont déjà plus de 65 % d’énergie provenant de sources renouvelables. L’avantage comparatif à long terme de l’Afrique réside dans les énergies renouvelables qu’elle peut fournir à l’économie de l’UE, transformant ainsi les soi-disant clubs du climat en quelque chose de réel et d’inclusif.
La deuxième partie de l’accord concerne le domaine de la sécurité alimentaire.
L’Europe, les États-Unis et le Royaume-Uni représentent plus de 45 % des importations de blé de l’Afrique, qui s’élèvent à 230 milliards de dollars. L’Afrique importe encore aujourd’hui plus de 80 % de ses besoins en blé, maïs, riz et céréales. Un regain d’attention porté sur la sécurité alimentaire de l’Afrique signifie que celle-ci non seulement sécurise l’approvisionnement, mais se concentre également sur l’augmentation de la production interne.
Un partenariat pour l’augmentation de la production de blé, de maïs et d’autres céréales sur le continent est une entreprise rentable. Alors que nous discutons de sous-traitance de proximité (near-shoring) pour renforcer la résilience commerciale, il est indispensable de mieux exploiter le potentiel agricole de l’Afrique pour la production alimentaire mondiale.
À cet égard, nous pouvons également nous concentrer sur le renforcement de la chaîne d’approvisionnement africaine de production d’engrais en nous appuyant sur les capacités existantes déjà au Maroc, en Égypte, en Angola et au Nigéria, mais aussi au Togo, au Sénégal et en Éthiopie. L’augmentation de la production d’engrais contribuera à accroître l’utilisation, à faire baisser les prix et à accroître la productivité.
Un programme visant à fabriquer plus d’engrais sur le continent augmentera l’offre, réduira les coûts et améliorera la productivité. L’agriculture en général représente plus d’un cinquième des émissions de gaz à effet de serre, l’Afrique peut également montrer la voie en augmentant l’adoption d’engrais naturels comme c’est déjà le cas dans des pays comme la Tanzanie avec des entreprises locales en tête.
Les nations africaines doivent tenir leur propre engagement à transformer l’agriculture en secteurs commerciaux viables pour les jeunes et les femmes, améliorer la gouvernance du secteur et rendre le secteur plus résistant au climat et améliorer nos systèmes alimentaires.
L’un des moyens de parvenir à ce grand compromis et d’avoir une situation gagnant-gagnant consiste à investir dans le cadre du Pacte Europe-Afrique existant. Le partenariat entre les États-Unis et le G7 pour les infrastructures mondiales, récemment annoncé, qui s’appuie sur le Plan mondial « Reconstruire en mieux » de l’année dernière, pourrait également être l’offre du G7 et abriter sa part du marché.
Rendre cela réel, à plus grande échelle et susciter plus d’ambition de la part des banques multilatérales de développement contribuera vraiment à améliorer notre partenariat alors que nous nous tournons vers le Sommet sur le climat organisé par l’Afrique en novembre, en Égypte.
Mais d’abord, les pays ont besoin d’espace politique et également d’espace budgétaire pour faire face à la crise de la faim imminente. Les pays ont besoin de liquidités grâce à la libération de nouveaux Droits de tirage spéciaux (DTS).
Une nouvelle émission de Droits de tirage spéciaux (DTS) permettra à l’Afrique de passer de 33,6 milliards de dollars à 67 milliards de dollars ; l’accélération de la rétrocession des DTS obtiendra une allocation globale de 100 milliards de dollars.
Plus important encore, la rétrocession permettra l’activation immédiate du Fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité (RST) du FMI, qui, à travers son objectif de durabilité, pourrait soutenir le marché, tandis que le financement du Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et la croissance soutiendra un espace en matière de dépenses budgétaires et de balance des paiements supplémentaires pour les pays.
En plus de cela, une extension de l’Initiative de soutien du service de la dette publique et/ou une extension de la période de paiement à 3 ans aiderait également à créer un espace budgétaire supplémentaire.
Avec la nouvelle allocation d’Aide au développement international, la Banque mondiale pourrait agir rapidement pour soutenir l’augmentation des prêts au secteur agricole par le biais du Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire, en plus d’augmenter les programmes de protection sociale.
Enfin, pour les pays ayant besoin d’une restructuration de la dette, un cadre de résolution de la dette du G20 plus rationalisé et inclusif qui inclut les Pays à revenu intermédiaire devrait être soutenu.
Pour les pays du G7 comme pour l’Afrique, cette crise est profondément malvenue, mais elle offre maintenant l’opportunité de nous aider à répondre aux trois grands enjeux mondiaux de notre époque : le défi climatique, la sécurité énergétique pour tous et la sécurité alimentaire.
- Tribune initialement publiée sur le site web institutionnel de la CEA