Pour limiter le réchauffement climatique, il faudra plus que les énergies renouvelables et les voitures propres




Par Geert Noels, économiste

 

A première vue, on pourrait croire qu’il s’agit d’une mer démontée. Mais quand on regarde de plus près, on distingue les panneaux indicateurs de l’autoroute, submergée par les flots. Les conséquences de Harvey à Houston sont hallucinantes. En trois ans, c’est le troisième « ouragan centennal » dans la région. Et alors que nous rédigeons ces lignes, l’ouragan Irma – lui aussi en route vers les côtes américaines – est passé au niveau 3.

Au même moment, la planète est touchée par deux autres catastrophes dont on parle moins: une partie de l’Asie est sous eau, et dans les Alpes suisses, un village a été rayé de la carte à cause de la fonte du permafrost (pergélisol). Ces phénomènes ne sont pas nouveaux, mais leur force et leur fréquence augmentent suite aux changements climatiques. Et le pire est encore à venir.

Dans l’enquête annuelle réalisée auprès des jeunes au World Economic Forum, ces derniers citent pour la troisième année consécutive « les changements climatiques et la destruction globale de la nature » comme étant leur principale préoccupation. On ne peut leur donner tort au regard de l’anéantissement rapide de la forêt tropicale, de la pollution des océans, comme par exemple le « septième continent » de plastique, et de la pollution atmosphérique, en particulier en Chine.

Il faut souligner que le problème dépasse de loin les émissions de CO2 et de gaz à effet de serre. Nous sommes aujourd’hui confrontés à l’instabilité environnementale. La Terre y survivra, certes, mais pour les humains, et en particulier ceux qui vivent dans des zones densément peuplées, ce phénomène pourrait être lourd de conséquences.

Dans un seul cas, le monde a réussi à réagir de manière rapide et adéquate à un tel dérapage: le trou dans la couche d’ozone. Celui-ci était provoqué par des gaz propulseurs qui furent interdits par la loi. Mais le problème actuel est bien plus important, présente de multiples facettes, et une inertie importante.

La Terre est une planète bleue, et l’eau a jusqu’ici joué le rôle de régulateur du climat. Mais la conséquence, c’est que lorsque le point de basculement est atteint, les effets sont durables et provoquent des réactions en chaîne.

Le réchauffement de l’eau de notre planète s’est produit lentement, mais s’accélère aujourd’hui suite à la fonte des pôles et du permafrost (pergélisol), qui à leur tour libèrent des gaz à effet de serre retenus jusqu’ici dans le sol. Ces gaz ne se décomposent pas rapidement et il faudra beaucoup de temps pour freiner leur impact, et bien plus encore pour inverser la tendance.

Les cris de victoire à Paris

Avec la signature d’accords sur le climat, comme à Paris (COP2016), le monde occidental fait croire à la population que ce problème sera résolu. Rien n’est moins vrai. Si les accords sont respectés (ce que Trump a entre-temps refusé), les émissions de gaz à effet de serre devraient se stabiliser aux alentours de 2030. Mais cela n’est pas suffisant pour arrêter les changements climatiques ou inverser la tendance.

Les cris de victoire concernant Paris sont dès lors incompréhensibles. En particulier parce les mesures prises pour freiner le transport international (un des plus gros pollueurs et incitateur de déplacements inutiles) n’étaient même pas à l’ordre du jour.

Une taxe mondiale sur le CO2 aurait pu être une option, un incitant important pour l’innovation technologique et une accélération de la percée des nouvelles technologies. Paris endort la conscience occidentale, comme si la mortification des entreprises et des ménages européens, les énergies renouvelables et les voitures électriques allaient résoudre tous les problèmes. Comprenez-moi bien: je trouve l’énergie renouvelable et les voitures propres fantastiques, mais je ne crois pas qu’elles sauveront le monde. En particulier si au même moment, l’énergie nucléaire est supprimée pour d’autres raisons environnementales (justifiées).

Ross Koningstein et David Fork sont deux ingénieurs qui ont travaillé pour Google au projet « RE < C ». L’objectif était de réduire le prix des énergies renouvelables nettement en-dessous du prix de l’électricité produite à base de charbon (« Coal fired »).

Les deux scientifiques ont vite compris l’inutilité du projet. Non pas parce qu’il serait impossible de réduire les coûts, mais parce que cela ne changerait rien aux problèmes climatiques. Dans une publication sur un blog, ils expliquent que si Google et d’autres rendaient possible le basculement complet vers les énergies renouvelables, la réduction des émissions de CO2 ne serait pas suffisante.

Leur conclusion: « Trying to combat climate change exclusively with today’s renewable energy technologies simply won’t work; we need a fundamentally different approach. »* Il n’existe qu’une seule possibilité d’éviter la catastrophe: la société doit oser prendre la pleine mesure du problème et fixer ses priorités en conséquence.

Notre myopie face à ce problème se manifeste par exemple par la conviction qu’une voiture Tesla est moins polluante qu’un véhicule hybride. L’électricité utilisée par les Tesla est produite par de l’énergie fossile et nucléaire, une petite partie seulement étant « propre ».

Les riches s’achètent une bonne conscience

La production de batteries consomme de l’énergie et elles contiennent des matériaux toxiques. Les incitants fiscaux liés aux voitures électriques constituent donc un non-sens par rapport à la problématique du climat, et de ce fait aussi un « effet Matthieu » (Matthew effect). Les riches s’achètent une bonne conscience, mais surtout une voiture fiscalement intéressante. Si Elon Musk avait voulu construire une voiture véritablement propre, il n’aurait pas créé des voitures de sport électriques, mais l’équivalent d’une Fiat 500.

Tesla ne sauvera donc pas le monde, pas plus que les panneaux solaires. Ce sont littéralement des gouttes d’eau dans l’océan. Nous aurons besoin de ces gouttes, mais si nous voulons réellement lutter contre les changements climatiques et la destruction de l’environnement, nous devons aller plus loin. Une réduction drastique des naissances en Afrique, une discipline démographique en Asie, une économie réellement circulaire, une accélération de la production d’énergie renouvelable, une nouvelle génération de centrales nucléaires propres, une taxe internationale sur les émissions de CO2, y compris dans le secteur du transport international, ne seraient qu’une première étape, et toutes ces discussions seront très difficiles.

Politique de l’autruche

Compte tenu de la politique de l’autruche qui règne actuellement, mettre ces sujets à l’ordre du jour est loin d’être une sinécure.
Nous devrons plutôt compter sur des percées technologiques aussi spectaculaires que l’invention d’internet et de la machine à vapeur. Une nouvelle source d’énergie, ou par exemple, une gestion du climat et une dégradation du CO2 dans l’atmosphère grâce à l’intelligence humaine. Tout cela n’est pas impossible, mais retardé par l’illusion donnée par l’accord de Paris que le problème est résolu. De nombreux ouragans comme Harvey suivront, y compris chez nous, avant que les grenouilles comprennent qu’elles doivent sortir de la casserole**.


  • Tribune initialement publiée sur lecho.be
  • Geert Noels est un macro-économiste et orateur spécialisé dans les sujets financiers et économiques. Il est le fondateur d’Econopolis.
  • * « Essayer de lutter contre les changements climatiques avec les technologies actuelles en matière d’énergie renouvelable ne fonctionne tout simplement pas. Nous avons besoin d’une approche fondamentalement différente. »
  • ** Référence à la métaphore de la grenouille plongée dans un récipient d’eau progressivement chauffée, et qui finit ébouillantée.

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