Par Samuele Furfari, maître de conférences à l’Université libre de Bruxelles
Dans la lutte que mènent nos villes contre la pollution urbaine, on perçoit la recherche désespérée de solutions alternatives aux véhicules conventionnels. C’est le cas en particulier pour les particules fines, même s’il est de bon ton de passer sous silence que le chauffage contribue aussi largement à cette pollution. Il n’y a pas beaucoup de voix qui s’élèvent pour proposer la suppression du chauffage au mazout ou aux pellets, pourtant grands générateurs de ces particules redoutées. Et si l’objectif réel était de s’en prendre à l’automobile, alors qu’in fine ce n’est pas tant elle qui pollue mais plutôt le carburant qu’elle consomme ? Et si c’était du côté de l’énergie que l’on devrait se tourner pour trouver une solution ?
Le carburant pollue, pas l’auto
La principale caractéristique du binôme énergie-transport tient au fait que 94 % de l’énergie de ce secteur sont tributaires de produits pétroliers. Ce n’est certes pas par manque de bonne volonté de nos autorités – pouvoirs publics nationaux et Union européenne – qui se sont montrées particulièrement entreprenantes dans le domaine depuis les crises pétrolières. Il faut objectivement admettre que les avantages que présentent les produits pétroliers dans le domaine du transport leur confèrent cette domination si dure à renverser.
En 2014, l’Union européenne a pris de nouvelles mesures afin de faciliter l’utilisation de carburants alternatifs, à travers notamment de la directive Dafi « sur le déploiement d’infrastructures pour carburants alternatifs ». Elle prévoit qu’« un nombre approprié » de points de ravitaillement en GNL (gaz naturel liquide) et GNC (gaz naturel comprimé) soient rendus accessibles au public au plus tard le 31 décembre 2025.
Les réserves mondiales doublées
Le gaz naturel n’a pas fini de nous surprendre : ses réserves mondiales sont passées de 72 Tm³ (milliers de milliards) en 1980 à 187 Tm³ en 2015. Abondant, produit dans de plus en plus de pays, et à un prix relativement bas, le gaz est devenu dans le monde la source d’énergie à la plus forte croissance. Le développement fulgurant de la production de gaz de roche-mère aux Etats-Unis, associée au pétrole de roche-mère a, dans une large mesure, contribué à révolutionner la géopolitique de l’énergie. Mais ce qui distingue le gaz des autres sources d’énergie, c’est son côté « propre » qui permet son utilisation même dans la cuisine, l’endroit le plus hygiénique de la maison.
Peu de gens réalisent que le gaz naturel est largement utilisé en tant que carburant; le GNC alimente plus de 18 millions de véhicules. Sept pays – dont l’Iran – possèdent plus d’un million de véhicules roulant au gaz.
Argument pour UPS
La dernière nouveauté du gaz, c’est son utilisation en forme liquéfiée (GNL) dans le transport de fret et maritime, qui a débuté avec l’aventure du gaz de roche-mère aux Etats-Unis. La fracturation hydraulique donne lieu à des norias de camions pour amener l’eau de fracturation et l’évacuer ensuite vers les stations d’épuration. Auparavant, ces camions fonctionnaient au diesel jusqu’au jour où Haliburton a eu l’idée d’utiliser le gaz produit sur place à un prix dérisoire. C’était l’œuf de Colomb. La nouvelle s’est répandue et le développement du GNL est devenu une forte réalité aux Etats-Unis. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le site de la plus grande société de courrier au monde – UPS – pour s’en rendre compte; elle en fait un argument écologique.
Motivée par l’ingéniosité du concept outre-Atlantique, la Commission européenne a lancé le projet LNG Blue Corridor afin de démontrer la faisabilité de cette filière en Europe. Il s’agit de l’adaptation d’une série de camions au GNL, la construction de stations de recharge et la circulation sur le réseau transeuropéen. A ce jour, plus de 23 millions de km ont été parcourus grâce à 57 394 pleins de GNL produit par 6 844 tonnes de gaz. Et tout cela avec une facilité déconcertante.
De la Chine à Zeebruge
Les exemples se multiplient un peu partout dans le monde : en Chine où le nombre de camions fonctionnant au GNL a augmenté de 257 % entre janvier 2016 et janvier 2017, en Israël où le gouvernement doit trouver des débouchés pour ses grandes réserves de gaz naturel de la mer du Levant, en Colombie où les bennes à ordure de Medellin roulent au gaz, en Inde où des autobus de la ville de Kerala utilisent du GNL, en Espagne où Primark, entre autres, approvisionne ses magasins par des camions au GNL, en Italie où 21 points de ravitaillement en GNL ont été construits. A Zeebrugge, Fluxis vient de doubler sa capacité de charge de camions-citernes pour le transport du GNL… vers le marché croissant italien.
Autobus au gaz
Les constructeurs de véhicules ont vite compris les enjeux. Iveco a déjà vendu 1 500 camions Stralis de 400 chevaux (dont 400 en Italie) pouvant parcourir 1 500 km grâce à deux réservoirs GNL; 9 % des tracteurs qu’elle a vendus en 2016 fonctionnent au GNL. Tous les véhicules utilitaires de Fiat Chrysler existent en version gaz naturel. Mercedes Benz vend des Sprinter fonctionnant au gaz. Renault et Volvo présentent des bennes à ordures au CNG; Scanai, Van Hool, Solbus, Vectia et Mercedes ont tous des autobus fonctionnant au gaz naturel.
Plus besoin de financements publics
L’application de cette nouveauté, loin de se limiter au transport de marchandise, peut aussi être répliquée dans nos zones urbaines. Nos villes pourraient donner l’exemple et faire circuler leurs autobus, autocars de ramassage scolaire, bennes à ordures et tous leurs autres véhicules utilitaires communaux au GNL. Elles amorceraient aussi la pompe d’un changement plus profond en faisant progressivement passer leurs véhicules personnels au GNC.
On pourrait alors dire « adieu » aux particules fines, et – cerise sur le gâteau – jouir de plus de tranquillité car les moteurs au gaz sont plus silencieux. Il n’y a plus rien à démontrer, plus rien à créer ni aucun besoin de financements publics. Il suffit de passer à l’acte. Aujourd’hui.
- Article initialement publiée sur www.lalibre.be