Les difficultés des opérateurs télécoms en Afrique sont fortement liées à l’approvisionnement électrique




Par Jean-Michel Huet (associé à BearingPoint) et Kevin Huard (manager à BearingPoint Maroc)

 

De prime abord, l’opposition entre les secteurs des télécommunications et de l’électricité est totale. Alors que l’accès à l’électricité demeure très faible et évolue très lentement, la pénétration des télécoms progresse très rapidement et rattrape la moyenne mondiale. Ils sont également opposés dans la perception des populations : tandis que les télécoms sont le symbole du développement du continent et de l’inclusion des populations à faibles revenus (via les services m-payment), le secteur électrique est le principal frein au développement économique de l’Afrique et un vecteur fort d’inégalité (entre riches et pauvres, entre urbains et ruraux).

Des difficultés de part et d’autre

Cependant, les deux secteurs connaissent des difficultés opérationnelles importantes. Les distributeurs électriques sont largement déficitaires, cela est dû notamment à la fraude, à une faible capacité de facturation et de collecte des paiements clients, à un réseau ancien et défectueux générant des pertes importantes et à des pannes fréquentes, ainsi qu’à des prix trop bas. Dans ce contexte, la maintenance des réseaux de distribution est difficile et leur extension très lente.

Les difficultés opérationnelles des opérateurs télécoms sont, elles, très liées à l’approvisionnement électrique. Les réseaux télécoms reposent sur les antennes relais qui doivent être alimentées en électricité en permanence. Dans le contexte africain où l’approvisionnement est discontinu, voire nul, elles sont alimentées par des groupes électrogènes, ce qui génère des coûts de carburant élevés et des difficultés liés à leur maintenance. Cela ralentit également l’expansion des réseaux en zones rurales à cause des difficultés d’accès et à l’insécurité des sites, et aussi la diversification due aux difficultés d’installation de l’infrastructure haut débit.

Le constat d’une interdépendance

Ainsi, l’apparition de services de télécommunication (mobile et Internet) n’est pas possible sans source d’énergie fiable, et la mise en place d’un réseau électrique fiable n’est pas possible sans système de gestion interconnecté via GSM (smart meter, Scada…). Nous voyons un nouvel espace de collaboration entre ces deux secteurs qui pourraient amener l’inclusion de la population africaine à des services électriques fiables, ainsi que l’expansion et la diversification des services de télécommunication.

Dans les zones déjà connectées au réseau, principalement urbaines, les télécoms sont en passe de devenir les principaux vecteurs de développement des distributeurs d’électricité. Le développement de compteurs prépayés et intelligents, associé aux offres de téléphonie mobile (prépaiement, m-paiement, mobile banking), vont pouvoir améliorer significativement la maîtrise des réseaux et les performances opérationnelles des opérateurs électriques. Les principaux axes d’amélioration seront le renforcement de l’interface client, notamment en termes de paiement, la gestion des réseaux à distance, la gestion des données réseaux et clients, ainsi que l’amélioration du service client. Sur les premiers projets de compteurs prépayés, ces derniers ont pu voir une augmentation significative de leur chiffre d’affaires (35 %), de leur recouvrement (de 60 à 100 %), et une optimisation de la consommation d’énergie, qui permet une meilleure qualité de service dans un contexte de sous-capacité de production électrique.

De plus, l’implication des opérateurs télécoms va permettre une diversification des services des utilities, en passant de la fourniture simple d’électricité, à la consommation de services énergétiques (« electricity as a service »), sur le même modèle qu’en Europe ou aux États-Unis. Cependant, la faiblesse de l’écosystème africain dans le domaine constitue une véritable opportunité pour les télécoms.

Les distributeurs électriques pourraient également être des drivers du développement des infrastructures télécoms. En effet, l’extension de la fibre optique en parallèle des réseaux électriques ou le développement du service de data centers très énergivores sont de vraies opportunités de revenus pour les producteurs et distributeurs d’électriques et pourraient les aider à amortir leurs propres investissements.

De forts changements en vue

Ces transformations vont nécessiter des changements très importants, notamment chez les opérateurs électriques qui sont encore à 90 % publics sur le continent. Les compétences marketing (business models, partenariats, parcours clients…), commerciale (qualité de service, réactivité, pilotage contractuel) et SI (digitalisation, analyse et monétisation des données) constitueront les principaux axes de développement.

Dans les zones faiblement ou non connectées aux réseaux, principalement rurales, la convergence des secteurs Télécom et Électrique prend principalement deux formes : le mini-grid et les solar home system (SHS). Le concept de mini-grid associé au domaine des télécommunications va permettre de diminuer fortement le coût de déploiement des réseaux télécoms via l’utilisation d’énergie verte (diminution des coûts liés au diesel) et la densification de la population (renforcement de l’accessibilité, de la sécurité), ainsi que de créer des revenus complémentaires à travers la fourniture de service électrique (batterie, pompe à eau, TV, accès Internet, réfrigération…) et le développement des services mobiles (m-paiement, mobile banking…). Les premiers projets pilotes ont montré des résultats impressionnants, avec un doublement du nombre de commerces lors de la première année et de la croissance urbaine dans les deux premières années de mise en service. Ces mini-grids pourraient ainsi constituer une base de raccordement au réseau dans l’avenir. L’implication des populations locales et la durabilité des business models (notamment via des financements innovants) seront des facteurs-clés de succès pour ces projets.

Le concept de SHS, ou kit solaire résidentiel, est une solution temporaire pour les zones en phase de raccordement, durable pour les zones peu denses et les zones bad grids. Le secteur est en fort développement (+ 35 %/ par an), notamment en Afrique de l’Est. La proximité client, ainsi que les compétences et solutions de gestion de données des Telcos constituent des atouts importants pour la commercialisation des SHS. En partenariat avec les énergéticiens, et parfois avec des organismes de microfinance, ils ont mis en place de multiples business models : de la vente d’équipement vers la consommation à l’unité (kWh) via des comptes prépayés (« pay as you go »), en passant par le leasing ou la consommation au forfait. Comme pour les écosystèmes ruraux, ces nouveaux business models vont obliger les Telcos et les énergéticiens à renforcer leurs compétences financières en interne ou via des partenariats sur le credit rating. L’innovation du secteur est d’ailleurs au cœur du développement de start-up et de nouveaux mécanismes de financement.

Dans l’avenir, la généralisation de SHS pourrait également permettre de collecter différents types de données (démographie, finance, usages) sur des populations encore faiblement connectées et d’envisager de nouvelles applications (développement de l’offre, ciblage marketing, réduction des coûts opérationnels…).

L’espace de collaboration entre ces deux secteurs est ainsi constitué de multiples applications, qui pourraient amener l’inclusion de la population africaine dans des services électriques fiables, ainsi que l’expansion et la diversification des services de télécommunication.


  • Tribune initialement publiée sur afrique.lepoint.fr

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