Les données, assimilées au « pétrole du XXIe siècle », ont une logique bien différente




Par Nicolas Mazzucchi, Chercheur, auteur du livre « Energie, ressources, technologies et enjeux de pouvoir » (Armand Colin ; 2017)

 

L’idée fait florès : les données seraient le pétrole du XXIe siècle, consacrant une parenté dont on ne sait si elle est économique, stratégique ou essentielle. Cette comparaison, simpliste, est erronée. Pour le comprendre, il faut revenir à la nature même des données et du pétrole.

Le pétrole est une matière première cachée, que les Hommes découvrent sans cependant la créer. Les données, elles, sont créées – ou plutôt cocréées – par l’utilisateur. Elles sont le fruit d’une rencontre entre un utilisateur et une plateforme. En ce sens elles ne sont pas « découvertes » comme le pétrole mais bien générées. Cela induit une première différence juridique quant à la propriété des données.

L’utilisateur – en droit européen au travers du Règlement général de protection des données (RGPD) et des différents textes français – n’est pas le propriétaire de ses données, mais il en a le contrôle (droit de rectification, de contrôle de l’usage, d’effacement, etc.). En outre, autre différence majeure, la donnée est économiquement non-rivale : l’utilisation d’une donnée n’empêche pas d’utiliser la même donnée. Contrairement au pétrole, le traitement qui lui est appliqué ne la consomme pas.

Certes, un élément permet une forme, limitée, de comparaison : le besoin de raffinage ou de traitement. Le pétrole est raffiné pour arriver aux produits finis énergétiques ou non. La donnée est traitée, puis analysée. Apparaît ici le big data, l’analyse des données massives, qui repose sur quatre piliers, nommés 4V (volume, variété, vitesse, véracité). Il s’agit donc de réunir un grand volume de données pour aboutir à un résultat satisfaisant. Le raffinage pétrolier se fonde lui sur une large palette de gammes de bruts pour aboutir à tel ou tel produit fini. Industriellement parlant c’est là que se trouve pour les deux la clé de la chaîne de valeur et c’est à ce stade que les grandes firmes transnationales qui exploitent respectivement le pétrole et la donnée y génèrent le plus de valeur.

Machine learning

Economiquement parlant, les deux ont un fonctionnement et des tendances radicalement différents. Les données n’acquièrent une valeur que par leur traitement. Certes il faut un volume minimal de données pour conduire des analyses big data ou entraîner des dispositifs de machine learning, même si l’un des axes de recherche en intelligence artificielle consiste précisément à pouvoir entraîner les systèmes sur des jeux de données de plus en plus petits et si la qualité des jeux de données peut compter autant que sa quantité. Il s’agit donc d’une économie de stock. Concernant le pétrole, l’économie est faite au contraire de flux. La base de l’économie pétrolière est l’équilibre offre-demande. Qu’il s’agisse de brut, de produits raffinés énergétiques (essence, diesel, kérosène, etc.) ou de co-produits (plastiques), c’est dans ce système complexe que s’établissent les ajustements stratégiques des entreprises et des Etats. La logistique y tient une place importante – contrairement au cyberespace où la circulation est quasi-instantanée – fondée sur la géographie réelle (1).

Ces deux logiques différentes s’entrechoquent puisqu’il ne peut, dans un système de stock d’un matériau de nature hétérogène (la donnée), y avoir une cotation fondant le signal financier et économique principal du monde.

Stratégiquement parlant, enfin, pétrole et données présentent, là aussi, des différences importantes. Entre un stock fini et fossile qui induit des richesses différenciées entre lieu de production et lieu de consommation, et un stock potentiellement infini et immédiatement disponible partout, les enjeux ne sont pas les mêmes. Le pétrole est une affaire de contrôle des chaînes de valeur et de fonctionnement des économies – l’énergie étant la base des économies et des sociétés humaines – au risque de la conflictualité. Au contraire, la donnée n’est qu’un adjuvant qui permet de fluidifier d’autres éléments (le commerce, le renseignement, etc.). Sans limiter son importance, la donnée n’est pas un domaine stratégique critique puisqu’il est possible de s’en passer, de la masquer, de la créer ou de la détruire à volonté. Outil de conflit – la guerre informationnelle – elle ne peut être un enjeu central, du simple fait de son caractère non-rival. Entre un système fondé sur la rareté et un sur l’abondance, il n’y a, au bout du compte, que peu en commun.

 


  • Tribune publiée initialement sur lopinion.fr
  • Dr Nicolas Mazzucchi, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche stratégique, spécialiste des questions énergie, cyber et matières premières ; auteur de « Energie, ressources, technologies et enjeux de pouvoir » (Armand Colin ; 2017)
  • (1) Le cyberespace lui repose sur une double géographie, réelle (câbles, serveurs, ordinateurs, etc.) et virtuelle (sites).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *