Comprendre le concept des obligations vertes à partir de l’expérience de la Banque mondiale




Par Heike Reichelt, Responsable des relations avec les investisseurs et des nouveaux produits à la Banque mondiale

 

Au cours des dix dernières années, les marchés financiers ont connu une évolution majeure. Auparavant, les investisseurs ignoraient la plupart du temps la destination finale des fonds qu’ils plaçaient, et d’ailleurs ils ne s’en préoccupaient guère. Mais sur les marchés actuels, la finalité de l’investissement est un élément de plus en plus déterminant. Il s’agit là d’une véritable révolution des marchés obligataires, et cette révolution a été impulsée par les obligations vertes.

Longtemps dominé par des organismes comme la Banque mondiale, le marché des obligations vertes rassemble aujourd’hui un large éventail d’émetteurs : entreprises du secteur privé, banques, États, collectivités locales ou compagnies publiques.

Le concept simple des obligations labellisées vertes a donné lieu à la création d’autres instruments d’emprunt du même type, comme les obligations sociales et les obligations bleues.

Le mois dernier [En novembre, NDLR], les Seychelles, archipel de 115 îles célèbre pour ses plages et ses récifs coralliens, ont émis leur toute première obligation bleue pour financer des programmes de pêche et de protection marine durables. Les Seychelles ont levé 15 millions de dollars auprès de trois investisseurs (Calvert Impact Capital, Nuveen et Prudential), et les autorités rendront compte de la manière dont les fonds sont utilisés ainsi que des résultats obtenus.

Cette obligation bleue est la plus récente de toute une série d’innovations sur le marché des titres à revenu fixe qui permettent de lever des fonds dans un but social précis : les émetteurs s’engagent aux côtés des investisseurs à atteindre un objectif et offrent davantage de transparence sur le financement. Emprunteurs et investisseurs bénéficient ainsi de produits financiers normalisés qui soutiennent des investissements à grande échelle, tout en affichant l’objectif social qu’ils permettront d’atteindre.

Les estimations du volume de ces obligations destinées à financer des objectifs particuliers varient selon le périmètre de marché pris en compte. Si l’on considère uniquement le marché des obligations labellisées vertes, le volume des dix dernières années dépasse 500 milliards de dollars. Si l’on prend en compte les émetteurs qui soutiennent des projets sociaux financés par les marchés obligataires, depuis les municipalités jusqu’aux banques de développement, ce chiffre atteint rapidement plusieurs milliers de milliards de dollars par an.

L’intérêt des investisseurs concernant l’impact social et environnemental de leurs placements reflète une évolution fondamentale des marchés obligataires. Les investisseurs veulent disposer de données qui montrent non seulement comment ils peuvent réduire les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs portefeuilles, mais aussi comment leurs investissements apportent une contribution sociétale. Ils sont conscients de leur capacité à soutenir les initiatives qui tiennent à cœur aux parties prenantes et de leur capacité à le faire sans renoncer à obtenir des rendements. Et les émetteurs répondent présent. Ils s’engagent auprès des investisseurs pour leur démontrer que leurs obligations offrent des perspectives de rendement financier et social.

Il y a dix ans, préoccupé par le risque important que le changement climatique faisait peser sur leurs portefeuilles, un groupe de fonds de pension suédois était en quête d’options d’investissement à l’appui de solutions respectueuses du climat. Ces investisseurs institutionnels recherchaient des produits liquides de haute qualité qui n’entraîneraient pas de risques supplémentaires, et ils attendaient en outre des informations sur l’impact que produiraient leurs investissements. Ils se sont adressés à la Banque mondiale, et nous avons travaillé ensemble pour concevoir un nouveau produit en coopération avec la Skandinaviska Enskila Banken (SEB). C’est ainsi que la green bond est née.

Émise en 2008 par la Banque mondiale, la première obligation verte a servi de modèle au marché obligataire vert d’aujourd’hui. Cette émission pionnière a défini des critères d’éligibilité des projets financés via des obligations vertes, associé une institution reconnue de recherche sur le climat (CICERO) afin d’apporter un deuxième avis, et imposé l’établissement de rapports d’impact, soulignant ainsi l’importance de la transparence.

La première obligation verte de la Banque mondiale a rencontré un franc succès auprès du marché et éveillé l’intérêt d’autres acteurs, notamment ceux intervenant dans le domaine des politiques climatiques tels que le Ceres et la Climate Bond Initiative. Elle a permis de sensibiliser l’opinion aux défis posés par le changement climatique et démontré que les investisseurs institutionnels pouvaient soutenir des projets climato-intelligents sans pour autant renoncer à des rendements financiers. Ce modèle a servi de base aux principes des obligations vertes, coordonnés par l’International Capital Markets Association (ICMA), et il a mis en évidence la valeur sociale des placements à revenu fixe ainsi que la nécessité d’insister davantage sur la transparence. Dès l’émission de la première obligation verte en 2008, les investisseurs ont rendu leur nom public et communiqué le prix auquel ils achetaient des obligations vertes ou d’autres titres labellisés.

Depuis lors, la Banque mondiale a émis plus de 150 obligations vertes dans vingt monnaies différentes et levé environ 13 milliards de dollars auprès d’investisseurs institutionnels ou individuels du monde entier. À présent, d’autres émetteurs d’obligations vertes se sont joints à ce mouvement, notamment des entreprises et des banques de toute taille et de plusieurs pays. Tous les émetteurs mesurent et rendent compte de l’impact social et environnemental de leurs investissements. Parmi eux, la Federal National Mortgage Association (plus connue sous son surnom Fannie Mae) détient le record des émissions d’obligations vertes effectuées en une seule année. L’an dernier, les Fidji ont émis la première obligation verte souveraine des pays émergents. Chaque banque présente sur les marchés financiers internationaux dispose d’un service dédié au financement obligataire vert ou durable. Des critères « verts » sont en cours d’intégration dans les processus de prêt. Les activités de vérification et de contre-expertise se sont développées, notamment au sein des agences de notation et d’autres prestataires transmettant des informations aux investisseurs et appuyant les émetteurs. Enfin, le concept d’obligation verte a été étendu à d’autres titres : obligation sociale, durable, bleue, etc.

Les obligations vertes ont déclenché une révolution dans la manière d’envisager la viabilité et la finalité des placements en titres liquides, ainsi que leur potentiel pour des investissements à impact positif. Si les instruments à revenu fixe peuvent soutenir le financement de solutions climatiques, ils peuvent aussi servir d’autres fins sociales. Les principes des obligations vertes, notamment le mode de sélection des projets, la garantie d’un deuxième avis et la production de rapports d’impact, sont déjà appliqués à d’autres domaines. Les Objectifs de développement durable (ODD), ces 17 objectifs adoptés en 2015 par 193 pays et qui vont de l’éducation à la santé en passant par les villes durables, constituent à cet égard un cadre de référence utile pour les investisseurs et les émetteurs, qui peuvent ainsi privilégier d’autres volets du développement, au-delà du climat. La Banque mondiale a commencé à mobiliser des investisseurs autour de certains ODD au moyen d’une série d’obligations destinées à mieux faire connaître les enjeux spécifiques du développement. Et d’autres instruments suivront.

Le défi que nous devons maintenant relever est de mettre à profit cette révolution et cette dynamique pour réaliser les ODD. Demain, avant chaque placement, les investisseurs se demanderont « quel en sera l’impact positif sur la société ? » et s’attendront à obtenir des données solides sur les effets de leur investissement. Il y a encore un long chemin à parcourir, mais c’est en étant conscient de l’urgence d’agir et du pouvoir de l’investissement, de la collaboration, de la technologie et de l’innovation que nous pourrons y parvenir.

 


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